La vache qui Bray
La vache qui bray
Pour initier notre série d’articles sur les producteurs locaux et engagés, nous avons rencontré Jean-Marie Beaudoin, fromager passionné et militant anti-pesticides. Il nous a parlé de son parcours, de sa vision de l’agriculture et de la production fromagère.
– Bonjour, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
– J’ai grandi à la campagne et j’ai toujours été attiré par le monde rural et l’agriculture. Après une carrière d’analyste-programmeur, j’ai décidé de changer de vie et de me consacrer à la production fromagère. J’ai commencé en 1993 dans la ferme de mes parents dans l’Oise-Normande, où j’ai collecté des anciennes recettes du Pays de Bray. En 2001, j’ai quitté la ferme familiale car mes frères associés ne voulaient pas passer en bio.
J’ai passé 8 ans dans une autre ferme à Corbeauval, puis une séparation et un nouveau départ.
A partir de 2009, j’ai acheté le lait chez Hélène et Amaury, mon frère (sur la photo) producteurs de lait bio à Orsimont depuis 1996. En 2021, l’installation de la fromagerie dans la ferme de Clément, aussi à Orsimont, vient réaliser un souhait de cohérence : faire vivre les recettes locales de fromages en redonnant
vie à une étable du 19ème siècle, en fabriquant du fromage avec du lait produit dans le village ( Clément qui passe en bio), lait produit par des vaches uniquement nourries avec de l’herbe du pays pour nourrir sainement les consommateurs. Valoriser cette matière première sur place, donc créer de la valeur-ajoutée en monde rural : créer des emplois, accueil, visites, valoriser le patrimoine dans toutes ses dimensions.
Dans cette grande bâtisse,avons construit des caves d’affinage en briques et voûtées (pour une meilleure
circulation de l’air) avec un financement participatif. Nous transformons 210.000 l de lait (130.000 l
provenant de chez Hélène-Amaury et 80.000 chez Clément).
– Pourquoi avoir choisi de vous engager pour l’agriculture biologique et le bien-être animal ?
– Je suis convaincu que la qualité du fromage dépend en grande partie de la qualité du lait, et donc de l’alimentation et du bien-être des vaches. « Si le troupeau est malheureux le lait est triste et le fromage n’est pas bon ». Si le lait contient des pesticides, qui sont des molécules liposolubles et parfois neurotoxiques, cela se concentrera dans le fromage et pourra avoir des effets néfastes sur la santé des consommateurs. C’est pourquoi j’ai choisi de passer en bio et de m’engager pour le bien-être animal. Hélène et Amaury sont continuellement en recherche, une approche globale de l’élevage, en organisant la vie de la ferme pour que les vaches soient bien et en bonne santé.
Cela permet de respecter leur rythme naturel et de réduire le stress. Les vaches sont nourries 100% à l’herbe, sans ensilage ni concentré, et les veaux sont laissés avec leur mère pendant 4 semaines après la naissance, quand ce n’est pas plus. Nous échangeons beaucoup avec nos éleveurs, car en bout de chaîne, nous détectons lorsque
quelque chose ne va pas dans le lait, et donc chez les vaches.
– Quelle est votre vision de la production fromagère ?
– Je pense que la production fromagère doit être basée sur la tradition et le savoir-faire, tout en étant ouverte à l’innovation et à la créativité. Nous avons une gamme de fromages qui reflète notre terroir et notre identité, comme le Bray Picard, la Tomme au Foin, la tomme au cidre, la Tomme Fumée, ou encore le Fromage Frais aux Herbes.
Notre fromage phare est la tomme au foin, par sa base historique, même si le Bray Picard, un fromage crémeux à pâte molle qui est affiné pendant au moins 15 jours, a été le premier récréé. Nous produisons également une variante avec des graines de lin et un fromage appelé Sullybert (type camembert), et une pâte molle à croûte lavée, le Fontenot. Enfin, nous produisons du beurre, de la crème fraîche et du fromage blanc.
Comment appréhendez-vous la chaîne alimentaire et comment les consommateurs peuvent-ils acheter vos fromages ?
– De manière solidaire et équitable, du producteur au consommateur. Nous avons une démarche de vente en direct auprès d’AMAPS comme la vôtre et de petits distributeurs, circuits courts et vente directe pour réduire les émissions de CO2 liées au transport, favoriser les échanges et les liens sociaux, et promouvoir une agriculture plus résiliente et diversifiée.Nous avons également une boutique en ligne où les clients peuvent commander nos produits et se les faire livrer directement chez eux. Notre devise : une chaîne alimentaire et solidaire … avec vous
– Comment faire pour ne pas perdre ce savoir-faire et ces belles valeurs que vous incarnez?
L’éducation et la sensibilisation du public sont essentielles pour promouvoir une alimentation plus saine et plus durable. C’est pourquoi je propose régulièrement des ateliers et des visites de ma ferme, pour faire découvrir mon métier et mes pratiques, et pour sensibiliser les gens à l’importance de la biodiversité et de l’agriculture biologique. Et c’est aussi pourquoi j’œuvre actuellement pour faire rentrer mes fromages au sein des collectivités locales dans les cantine scolaires
– Les métiers de l’agriculture sont des métiers qui demandent un engagement personnel et qui ne payent pas toujours leurs bras. Qu’en est-il pour vous?
En effet, ce n’est pas simple. Je parle d’une activité qui est une « occupassion ». Nous avons 7 salariés (5 ETP). Le temps de travail n’est pas rémunéré ou comptabilisé dans le prix final du produit, alors ça coince, et pourtant, on est heureux de le faire si on a d’autres valeurs …
– Accepteriez-vous de nous partager l’un de vos secrets qui rendent vos fromages si uniques et si délicieux?
– Je ne prends que le lait du matin, un lait vivant à la température de la vache, qui n’a pas été réfrigéré, et je peux vous dire que ça fait une sacrée différence dans la qualité du fromage.
– Comment gérez-vous la production de fromage tout au long de l’année, étant donné que les vaches produisent moins de lait en hiver ?
– Nous avons une approche très naturelle de la production laitière. Nous ne forçons pas nos vaches à produire du lait toute l’année en utilisant des hormones ou des aliments concentrés. Au lieu de cela, nous laissons nos vaches suivre leur cycle naturel de production laitière. Cela signifie que nous avons moins de lait en hiver. Nous ajustons notre production de fromage en conséquence, en produisant plus de fromages affinés pendant les mois d’hiver et en nous concentrant sur les fromages frais pendant les mois d’été.
– Merci beaucoup pour cet entretien, nous sommes ravis d’avoir pu découvrir votre parcours et votre vision de l’agriculture et de la production fromagère, et de voir des producteurs comme vous qui se soucient du bien-être animal et de la qualité des produits. Nous vous souhaitons bonne chance pour vos projets futurs et espérons que votre engagement inspirera d’autres producteurs à suivre votre exemple. Hâte de goûter vos fromages !
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Et pour finir, un poème de Philéas Lebesgue en l’honneur du pays de Bray, que Jean-Marie est capable de déclamer tout en fabriquant son fromage 💚
Terre d’amour
O mon pays de Bray picard, peuplé de haies
Quelle âme aromatique, irrésistible et douce
Habite en toi, parmi les myrtils et la mousse
Parmi les prés en fleurs et les hautes futaies !
Parce que nous goûtons la rouille de tes sources,
Le pain de tes froments, le cidre de tes pommes,
Ta glèbe a pénétré dans la chair que nous sommes,
Et ton fils, loin de toi, perdent toutes ressources.
C’est que les morts couchés au flanc de tes collines,
Ont haleté sur toi de toutes leurs poitrines
Et t’ont, le long des jours, baigné de sueurs lentes;
C’est que le ciel, soir et matin, mouille et féconde,
Du magique baiser de ses lèvres sanglantes,
Ton sol amer, où le fer brun git sous la sonde.
Voici quelques photos des produits proposés par Jean-Marie Beaudoin: